Le Cabinet Cheysson Marchadier & Associés est un cabinet fondé en 2004 dont les activités sont essentiellement consacrées au droit des affaires (notamment en restructuration), au droit de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies, au droit de la construction et de l’immobilier, et au droit des assurances. Il est composé de 4 associés, d’1 of counsel et de 6 collaborateurs.
Voici donc un article de Charles Casal, avocat associé de ce cabinet, et de sa collaboratrice Carole Nehou, sur 2 sujets qui reviennent souvent : le SEO et le juridique et la contrefaçon sur Internet.
Un article à garder dans vos favoris.
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Contrat de positionnement et contrefaçon
Lorsqu’un internaute effectue une recherche sur un moteur de recherche (tel Google ou Yahoo !), le moteur de recherche va afficher les sites qui paraissent le mieux répondre à la requête de l’internaute, par ordre décroissant de pertinence. Ces résultats sont appelés « résultats naturels ».
Par ailleurs, des liens commerciaux peuvent apparaître en apposition des « résultats naturels ». Il s’agit des « résultats commerciaux » qui sont générés par la vente de mots-clés aux exploitants de sites internet.
Les moteurs de recherche s’appuient sur le contenu même des sites pour les indexer dans les résultats naturels et sur des mots-clés achetés par les exploitants des sites internet pour proposer les résultats commerciaux.
Un bon positionnement sur les moteurs de recherche les plus usités par les internautes permet d’attirer de nouveaux clients, de générer des ventes et/ou d’améliorer son image. Le positionnement sur les moteurs de recherche et notamment sur le moteur de recherche Google est donc essentiel.
Afin d’améliorer leur positionnement, les exploitants de sites internet peuvent faire appel à des prestataires dispensant des conseils en vue d’optimiser leur politique de référencement naturel et commercial. Ces prestataires sont appelés « prestataires de service d’aide au référencement ». Il convient de ne pas les confondre avec les moteurs de recherche qui sont qualifiés par la doctrine et la jurisprudence de « prestataires de services de référencement. »
La tentation est grande d’utiliser en tant que mots-clés des marques déposées ou des marques notoires de concurrents ayant acquis une renommée dans le même domaine économique que celui dans lequel opère l’exploitant du site internet.
Il convient donc de s’interroger sur la nature de la responsabilité des prestataires de services de référencement qui enregistrent comme mots-clés des signes protégés (I) et sur celle des annonceurs qui choisissent d’utiliser ces mots-clés protégés afin d’obtenir un meilleur référencement de leur annonce (II). Enfin, il convient de déterminer la nature de la responsabilité des prestataires de services d’aide au référencement et au positionnement (III).
I- La responsabilité limitée des prestataires de service de référencement pour le stockage de marques déposées en tant que mots-clés pour le référencement d’annonces commerciales
La Cour de Justice de l’Union européenne (ci-après la CJUE) a considéré le 23 mars 2010 que la responsabilité des prestataires de service de référencement ne pouvait être recherchée ni sur le fondement de la contrefaçon ni sur le fondement de la responsabilité civile pour fourniture de moyens en cas d’utilisation d’une marque déposée pour le référencement commercial.
Il en résulte que la responsabilité du prestataire de service de référencement est résiduelle concernant les résultats commerciaux.
Concernant les résultats naturels, la CJUE ne s’est pas encore prononcée sur la responsabilité du prestataire de service de référencement qui affiche des sites internet de concurrents lorsque le nom d’une marque est recherché sur un moteur de recherche.
Dans son arrêt du 23 mars 2010, la Cour de Justice avait été saisie par la Cour de cassation de diverses questions préjudicielles tenant à la responsabilité de la société Google dans le cadre du service de liens commerciaux qu’elle propose via le système « adwords » dans lequel les mots-clés permettant de référencer les annonces commerciales sont choisis par les annonceurs.
La CJUE a conclu à l’absence de contrefaçon de la société Google dans le cas où des marques déposées seraient utilisées en tant que mots-clés par des sociétés pour référencer leurs liens commerciaux sous certaines conditions.
La CJUE a en effet jugé que les prestataires de service de référencement ne font que stocker les marques utilisées en tant que mot-clé et en conséquence, n’en font pas un usage dans la vie des affaires .
Le prestataire de service de référencement ne peut donc pas être considéré comme contrefacteur lorsqu’a été enregistrée dans ses fichiers une marque déposée pour référencer une annonce commerciale.
La Cour de cassation par quatre arrêts en date du 13 juillet 2010 a repris l’analyse de la CJUE et a considéré que le prestataire de services de référencement ne joue pas un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées sur ses serveurs. En d’autres termes, aussi longtemps que le prestataire de services de référencement n’a pas connaissance de la nature des données stockées et n’a pas de rôle actif lui permettant d’en prendre connaissance, celui-ci ne peut pas voir sa responsabilité engagée.
Cette solution protectrice des prestataires de service de référencement s’explique par la multitude de sites internet indexés sur ces moteurs de recherche et en conséquence par l’impossibilité matérielle de vérifier le contenu de tous ces sites et leurs mots-clés de référencement.
En outre, la CJUE a refusé de déclarer la société Google responsable civilement sur le fondement de la fourniture de moyens en considérant que le prestataire a (i) « une activité purement technique, automatique et passive » et (ii) qu’elle « n’a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées», conformément au considérant 42 de la Directive du 8 juin 2000.
Cependant, en application de l’article 6.2 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, les prestataires de service de référencement peuvent voir leur responsabilité engagée s’ils ont eu effectivement connaissance du caractère illicite de certaines données stockées par eux ou, s’ils en ont eu connaissance, s’ils n’ont pas agi promptement pour les retirer ou en rendre l’accès impossible.
Par exemple, le Tribunal de commerce de Paris a jugé que « dès l’instant où un titulaire de droits a signalé un contenu illicite dans une zone de stockage à un hébergeur, ce dernier a l’obligation de surveiller toute nouvelle apparition de ce contenu, dans n’importe quelle zone de stockage ».
Si le moteur de recherche a un rôle passif justifiant une responsabilité limitée, il en va différemment pour l’annonceur qui joue un rôle actif dans le choix des mots-clés.
II- La responsabilité des annonceurs
L’utilisation d’une marque déposée en tant que mot-clé pour référencer des produits et services différents de ceux pour lesquels la marque est déposée est autorisée, en application du principe de spécialité de la marque.
Il en va différemment pour les marques utilisées en tant que mot-clé pour référencer des annonces pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans le libellé de la marque.
En effet, la CJUE dans son arrêt du 23 mars 2010 susmentionné, conformément à sa jurisprudence antérieure , a considéré que l’annonceur, en choisissant une marque déposée comme mot-clé afin de référencer son annonce pour des produits identiques ou similaires à ceux visés dans l’enregistrement de celle-ci a fait un usage de la marque dans la vie des affaires, c’est-à-dire un usage dans le contexte d’une activité commerciale visant à un avantage économique et non dans le domaine privé.
Cette utilisation d’une marque en tant que mot-clé n’est pas interdite en tant que telle. Plus encore, la CJUE l’autorise expressément sous certaines conditions et peut même contraindre le titulaire de la marque de payer un prix par clic plus élevé si un concurrent a déjà choisi la marque déposée comme mot-clé pour référencer sa propre annonce .
L’utilisation d’une marque en tant que mot-clé pour référencer une annonce commerciale dans le moteur de recherche Google constitue pour la CJUE un usage autorisé dans la vie des affaires même lorsque le signe sélectionné n’apparaît pas dans l’annonce elle-même mais uniquement comme mot-clé invisible des internautes.
La CJUE a cependant considéré que l’utilisation par un annonceur d’une marque déposée par un tiers pour des produits identiques ou similaires à ceux désignés dans le dépôt de la marque était susceptible de porter atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque et en conséquence devait être limitée .
La juridiction veille en effet à ce que les annonceurs n’induisent pas en erreur les internautes quant à l’origine des produits ou services qu’ils commercialisent.
En conséquence, la CJUE interdit aux annonceurs d’utiliser dans une annonce commerciale une marque déposée en tant que mot-clé pour des produits ou services identiques ou similaires, si l’annonce, tout en ne suggérant pas l’existence d’un lien économique entre l’annonceur et le titulaire de la marque, reste à ce point vague sur l’origine des produits commercialisés par l’annonceur, qu’un internaute moyennement diligent n’est pas en mesure de savoir si l’annonceur et le titulaire de la marque sont économiquement liés.
Les conditions de mise en œuvre de la responsabilité de l’annonceur ont été résumées dans l’arrêt « Portakabin » rendu par la CJUE le 8 juillet 2010 .
La CJUE a précisé dans cet arrêt que le titulaire d’une marque peut interdire à un annonceur d’utiliser sa marque déposée comme mot-clé dans un but publicitaire lorsque la publicité ne permet pas à un internaute moyen de savoir si l’annonce provient du titulaire de la marque ou d’un tiers. Cependant, la CJUE a limité la portée de la règle expliquée ci-dessus en exigeant que le titulaire de la marque prouve que « la fonction de la marque d’identification d’origine des produits est malmenée par le comportement de l’annonceur. » Si les annonceurs ne se comportent pas comme des parasites, leur responsabilité ne pourra donc être engagée.
La fonction d’investissement de la marque a aussi été prise en considération par la CJUE. Cette dernière a en effet autorisé les titulaires de marques à interdire à des concurrents d’utiliser leur marque en tant que mot-clé si l’usage de cette marque gêne de manière substantielle l’emploi par le titulaire de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser des consommateurs , étant rappelé que le fait pour un annonceur d’utiliser la marque comme mot-clé, obligeant le titulaire à la surenchère, ne constitue pas a priori une gêne.
Enfin, il convient de noter qu’en application de l’article L713-6 du Code de la propriété intellectuelle , les annonceurs peuvent utiliser une marque si cette dernière constitue une référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée. Ainsi, le titulaire de la marque Audi ne pourra pas engager d’action à l’encontre d’un annonceur si la marque Audi est utilisée comme mot-clé renvoyant à un site commercialisant des jantes de cette marque, en application de l’article susmentionné.
III- La responsabilité des prestataires proposant des services d’aide au référencement et au positionnement
Selon la doctrine, les sociétés qui proposent des services d’aide au référencement ou au positionnement sont liées à leurs clients par des contrats de prestation de services . Ces prestations d’aide au référencement sont qualifiées par la doctrine et la jurisprudence de contrat d’entreprise ou de mandat.
Ces contrats consistent en des prestations intellectuelles : les prestataires d’aide au service au référencement proposent des méthodes d’optimisation et des techniques de référencement passant notamment par des mots-clés.
Comme toute prestation de service intellectuelle, la réalisation de cette prestation dépend d’un aléa. En outre, dans le cas des prestataires d’aide au référencement, l’aléa est d’autant plus important que le référencement des sites internet des exploitants ne dépend pas exclusivement de leur prestation intellectuelle, mais dépend aussi du comportement des autres sites internet référencés sur les moteurs de recherche notamment par les concurrents de leur client. En outre, l’algorithme développé par les moteurs de recherche rend l’aléa encore plus important.
En conséquence, l’obligation découlant des contrats de prestation de services des prestataires d’aide au service de référencement ne sera pas une obligation de résultat selon laquelle le prestataire engage sa responsabilité du simple fait que l’obligation de référencement et de positionnement n’est pas réalisée mais une obligation de moyens. A ce titre, le prestataire devra mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition pour réaliser l’obligation de référencement et de positionnement du site internet de son client.
De plus, comme tout prestataire de services, le prestataire d’aide au service de référencement est tenu d’une obligation de conseil vis-à-vis de ses clients annonceurs. A ce titre, il devra veiller à ce que le choix des mots-clés préconisés à ses clients respecte les principes posés par la jurisprudence. Il devra également avertir le client s’il constate une violation de ceux-ci.
Conclusion :
Si la jurisprudence fait bénéficier les prestataires de service de référencement d’une responsabilité atténuée, il n’en est pas de même des annonceurs qui doivent, s’ils veulent référencer une annonce respecter la fonction d’indication d’origine de la marque ainsi que sa fonction de publicité. Le régime de la responsabilité des annonceurs qui utilisent en tant que mot-clé une marque déposée par un concurrent est schématisé ci-dessous.